5 questions à Carine Vanden Borre
Cheffe de projet Appui et Proximité au Burkina Faso
Vous travaillez sur un projet de police de proximité. En quoi cela consiste-t-il ?
Beaucoup pensent que la police de proximité n’est rien d’autre qu’un service de police supplémentaire qu’on met en place dans les quartiers, près des gens. C’est en réalité beaucoup plus complexe. Pour commencer, la police de proximité est une philosophie qui doit être comprise et intégrée par tou·tes les membres des forces de sécurité : police, gendarmerie, eaux et forêts…
Ensuite, elle repose sur la prévention : l’idée n’est pas d’intervenir pour lutter contre les actes criminels, mais bien de prévenir leur survenance. Ce qui nous amène à une troisième caractéristique de la police de proximité : elle repose sur la confiance entre la population et les forces de l’ordre. Cette confiance est indispensable pour faire remonter les informations. Au Burkina Faso, il règne une grande méfiance vis-à-vis de la police. Nous avons donc dû œuvrer à recréer cette confiance, à multiplier les contacts. Par exemple, en mettant en place un mécanisme de concertation afin d’organiser des réunions régulières ou ponctuelles, en fonction des besoins.
Nous avons également travaillé à faire comprendre aux forces de l’ordre qu’elles étaient aussi redevables envers la population de l’usage fait des informations transmises. Les personnes ont besoin de savoir que leur action ou que l’information qu’elles ont partagée a permis de prévenir tel ou tel acte. Cela contribue à renforcer la confiance.
"Des enfants désœuvrés et livrés à eux-mêmes dans la rue, ce n’est jamais une très bonne chose. Avec l’aide de la communauté locale, nous avons mis en place un « camp de vacances » qui a regroupé une centaine d’enfants de 8 à 17 ans pendant deux semaines."
Pouvez-vous donner des exemples concrets ?
Dans la région du Centre-Est, où notre projet est mis en œuvre, beaucoup de familles avaient un petit commerce transfrontalier : le mari était fonctionnaire ou employé, et l’épouse gérait ce petit commerce. Mais à cause du terrorisme et de la crise du COVID-19, les frontières se sont refermées, et cette source de revenus s’est tarie. De nombreuses familles n’ont plus eu les moyens de mettre leurs enfants à l’école.
Des enfants désœuvrés et livrés à eux-mêmes dans la rue, ce n’est jamais une très bonne chose. Avec l’aide de la communauté locale, nous avons mis en place un « camp de vacances » qui a regroupé une centaine d’enfants de 8 à 17 ans pendant deux semaines. Le but était de les occuper, mais aussi, par le biais de différentes activités, les sensibiliser aux risques de leur situation, à la délinquance de rue et aux différentes infractions susceptibles de les impliquer en tant qu’auteur·es ou que victimes, mais aussi aux risques du recrutement par des groupes terroristes.
Ce camp a eu énormément de succès, au point que nous avons hélas dû limiter les places. Une des réussites que nous avons connues concerne un enfant qui était déjà un petit délinquant de rue. Il est venu à notre camp une journée. Le lendemain, il n’est pas venu, parce qu’il avait commis un vol. Les Koglweogo, une milice traditionnelle, en avaient eu vent et l’avaient arrêté. Nous avons pu envoyer un négociateur chez eux pour faire relâcher cet enfant. Il est revenu au camp et l’a fréquenté assidument. Par la suite, ses parents nous ont appris que les relations avec leur enfant s’étaient améliorées, et qu’il avait même accepté de reprendre le chemin de l’école.
Ces milices sont justement présentes au Burkina Faso. Comment faites-vous pour les intégrer dans ce projet ?
Pour nous, des milices comme les Koglweogo font partie de ce que nous appelons les « initiatives locales de sécurité ». Elles ont donc leur place dans notre projet.
Nous sommes parvenus à ce que certains d’entre eux s’interrogent sur leurs pratiques (ndlr : les Koglweogo arrêtent les criminels supposés, parfois les battent et imposent comme punition, outre la réparation du préjudice, le paiement d’amendes). Nous entretenons par exemple d’excellents rapports avec le chef des Koglweogo de la Province du Boulgou. Le fait d’avoir choisi une approche centrée sur la discussion et l’échange plutôt que sur la confrontation nous a permis d’établir un véritable dialogue. Au point qu’il y a aujourd’hui un noyau qui collabore avec les forces de sécurité.
Le nœud de notre action, c’est de concilier nos objectifs et les besoins concrets du terrain. Cela implique de parler avec tous les acteurs : forces de police, autorités locales, initiatives locales de sécurité, organisations de la société civile, chefs coutumiers… L’idée est de parvenir à formuler des objectifs que chacun peut s’approprier.
Pour moi, la réussite d’un projet repose sur l’implication de toutes les parties prenantes. Montrer à tou·tes les participant·es leur capacité à prendre les choses en main. Renforcer les liens entre la population et les forces de sécurité, par exemple, permet non seulement de contribuer à la réduction de la criminalité, mais aussi de résoudre les conflits entre personnes avant qu’ils ne débouchent sur de la violence. Au final, cela renforce la cohésion sociale. Et cela garantit une participation de toutes les parties pour construire ensemble plus de sécurité pour toutes et tous.