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09 octobre 2025
Utiliser les outils numériques pour renforcer l’enseignement
Entretien avec Walter John et Margot Debois – Jeunes professionnels en Tanzanie
Walter John (Tanzanien) et Margot Debois (Belge) ont rejoint Enabel début 2025 afin de soutenir l’apprentissage numérique dans l’enseignement. Basé·es à Kigoma et Kasulu, il et elle collaborent avec des écoles partenaires pour aider les enseignant·es tanzanien·nes à intégrer les outils numériques dans leurs cours. Dans le cadre d’un projet pilote associant deux jeunes professionnel·les de moins de 30 ans occupant des fonctions similaires, il et elle réfléchissent à leur collaboration, à l’apprentissage interculturel et à la manière dont leur approche aide les enseignant·es dans leurs classes.
Comment en êtes-vous arrivé·es à occuper ce poste ?
Walter : J’ai découvert le Programme Junior sur le site web d’Enabel. Je connaissais déjà son impact en Tanzanie, notamment en matière de digitalisation dans l’éducation. Fort de mon expérience dans l’enseignement de la chimie et de la biologie, j’y ai vu une opportunité de m’épanouir professionnellement et de contribuer de manière significative à l’amélioration des méthodologies utilisées dans les écoles, et plus largement, dans le système éducatif tanzanien.
Margot : Pour moi, tout a commencé lors d’un stage de formation d’enseignante au Malawi. J’ai adoré cette expérience et je cherchais des moyens de retravailler à l’étranger, de préférence dans le domaine de l’éducation. Plus tard, lors d’un stage en Équateur, j’ai découvert Enabel et le Programme Junior. Lorsque j’ai vu passer une offre d’emploi pour un poste d’expert·e junior·e en Tanzanie qui correspondait à ma passion pour l’éducation, j’ai immédiatement postulé.
Vous avez commencé par travailler en étroite coopération. Comment cela a-t-il influencé votre collaboration ?
Margot : Cela a été extrêmement précieux. Au cours de notre première semaine de travail, nous avons pris part à une conférence à Zanzibar sur les défis à relever et les solutions en matière d’éducation en Tanzanie. Cette expérience nous a permis de mieux nous connaître immédiatement. Au début, nous partagions également un bureau à Kigoma. Il était important pour nous de travailler en étroite collaboration pendant ces premiers mois. Walter connaît parfaitement le système éducatif tanzanien et m’a aidée à mieux appréhender le contexte. Durant mon apprentissage du swahili, Walter traduisait pour moi, ce qui m’a permis de me sentir plus intégrée.
Walter : Pareil pour moi. Travailler avec Margot m’a permis de découvrir d’autres façons de voir les choses. Ainsi, elle m’a fait découvrir des approches pédagogiques que je ne connaissais pas, comme ActivePresenter, qui permet d’enregistrer et de réutiliser des cours. Nous avons pu l’utiliser pendant les périodes de pénurie d’enseignant·es, comme les périodes électorales, lorsque nombre d’enseignant·es sont appelé·es à remplir des fonctions administratives pour assurer le bon déroulement du processus électoral. Cette année étant une année électorale, il peut donc s’avérer utile d’enregistrer les cours. Ce faisant, les élèves ne seront pas privé·es d’éducation durant cette période.
Vous travaillez pour l’heure dans des bureaux différents. Comment se passe la collaboration actuellement ?
Walter : Enabel appuie des écoles tant à Kigoma qu’à Kasulu. Cela prend toutefois plusieurs heures depuis Kigoma pour se rendre à Kasulu et dans certaines écoles des environs. C’est pourquoi, avec l’équipe, nous avons décidé que je commencerais à travailler à Kasulu. Ce déménagement rend les visites sur le terrain plus pratiques et me permet d’agir rapidement si quelque chose doit être fait dans les écoles dont j’assure le suivi. Quoi qu’il en soit, je reste en contact étroit avec Margot et nous continuons à échanger des idées en permanence.
Margot : Oui, cette séparation nous a permis d’assumer davantage de responsabilités individuelles tout en restant en contact. Walter travaille dorénavant avec des écoles à Kasulu et Kibondo, tandis que je m’occupe des écoles à Kigoma. Même si nous travaillons dans des bureaux différents, notre collaboration se passe toujours très bien.


Pouvez-vous nous donner quelques exemples de votre travail actuel ?
Margot : Walter et moi travaillons tous deux sur le projet de mise à l’échelle Digital Innovation for Education (DI4E) qui ambitionne de rendre l’apprentissage plus inclusif en renforçant les compétences numériques des enseignant·es et en réduisant la fracture numérique. L’un des éléments clés consiste à équiper 12 écoles de kits numériques mobiles comprenant notamment un projecteur intelligent, un haut-parleur Bluetooth, un clavier et une batterie solaire. Ces kits sont destinés à favoriser un enseignement plus interactif, en particulier dans les écoles où l’accès à la technologie est encore assez limité.
Walter : Oui, et nous participons également à la mise en place d’Innovation Hubs répartis entre Kigoma, Kasulu et Kibondo, où les enseignant·es peuvent accéder à des ressources numériques et poursuivre leur développement professionnel. L’idée est de créer des espaces durables d’apprentissage et de collaboration qui vont au-delà du simple matériel informatique. Nous avons constaté que lorsque ces outils sont présentés, ils suscitent beaucoup d’intérêt, ce qui est formidable en soi, mais nous devons également nous assurer qu’ils sont utilisés de manière à promouvoir l’équité.
Margot : Exactement. Nous voulons nous assurer que les outils sont utilisés de manière significative, et pas seulement de façon ponctuelle. Ces dernières semaines, nous avons mis en place des communautés d’apprentissage Digital 4 Education dans la région de Kigoma. Nous avons formé des animateur·rices, principalement des enseignant·es, qui rassemblent ensuite d’autres enseignant·es pour partager des idées sur l’utilisation des outils numériques. Attendu que la plupart des écoles ont un accès limité à la technologie, ces échanges sur ce qu’elles peuvent faire avec les quelques ressources numériques disponibles sont donc précieux.
Parallèlement, je participe également à des travaux de monitoring et d’évaluation. Je fais partie du comité d’évaluation d’un récent appel à propositions. Ces activités me donnent de précieuses occasions d’élargir mon expérience et d’approfondir ma compréhension des processus des projets d’Enabel.
Walter : Pour moi, l’inclusion a constitué une priorité. Je me suis penché sur la manière dont les outils numériques peuvent aider les apprenant·es ayant des difficultés visuelles ou auditives, et sur la manière dont nous pouvons adapter ou choisir des outils qui leur conviennent. J’ai également remarqué que lorsque de nouveaux outils sont mis en place, les garçons ont tendance à prendre les devants et à dominer l’espace. Leur enthousiasme est impressionnant, mais nous devons également veiller à ce que les filles soient tout autant encouragées à essayer ces outils. Elles sont parfois un peu plus réservées au début ; il est donc très important que les enseignant·es aient conscience de cette dynamique et contribuent à créer un environnement d’apprentissage équilibré.
Outre cela, Margot et moi-même menons de concert une recherche-action.
La recherche-action, cela semble intéressant. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Margot : La recherche-action est une approche pratique qui consiste à explorer et à réfléchir sur sa propre pratique afin de l’améliorer, tout en testant des idées en temps réel. Nous utilisons cette recherche-action pour étudier les facteurs déterminants de l’utilisation des kits d’outils numériques mobiles dans les collèges de la région de Kigoma.
Walter : Comme les kits officiels ne sont pas encore arrivés, Margot et moi avons créé notre propre « kit auto-assemblé » avec le matériel disponible dans notre bureau.
Margot : En effet, nous voulions prendre de l’avance et avons décidé de faire un test. Avec ce kit improvisé, nous visitons les écoles pour tester ce qui fonctionne et recueillir des informations utiles afin d’être prêt·es lorsque les kits officiels arriveront.
Walter : Nous avons observé comment les enseignant·es utilisaient les outils en classe, puis nous avons réfléchi avec eux et elles à ce qui fonctionnait et à ce qui pouvait être amélioré. Beaucoup étaient réticent·es au début, car ils et elles n’avaient pas été formé·es à l’intégration des appareils numériques dans leurs plans de cours, mais ils et elles ont pris confiance. C’est gratifiant de voir que les enseignant·es demandent désormais à utiliser davantage d’outils.

Qu’avez-vous appris l’un·e de l’autre ?
Walter : Margot m’a appris les meilleures pratiques pédagogiques mondiales et comment innover avec des ressources limitées. Elle est venue avec des idées neuves qui ont remis en question ma conception de l’enseignement.
Margot : La connaissance approfondie de Walter du système éducatif tanzanien s’est avérée inestimable. Travailler à ses côtés m’a également aidée à comprendre ce qui est réaliste dans le contexte tanzanien et comment adapter les idées en conséquence.
Vous travaillez ensemble depuis environ 7 mois maintenant, êtes-vous impatient·es de voir ce que l’avenir vous réserve ?
Margot : Absolument. Dans les prochaines semaines, les kits numériques mobiles seront livrés aux écoles. Nous formerons les enseignant·es à l’utilisation de ces kits et les aiderons à renforcer leurs compétences en matière d’enseignement numérique. Je suis certaine que ce sera là une expérience enrichissante et précieuse, non seulement pour les enseignant·es, mais aussi pour moi-même. De plus, nous œuvrerons à la création de quatre Innovation Hubs répartis dans la région de Kigoma. Nous avons donc plusieurs projets passionnants en perspective.
Walter : Tout à fait. Les kits numériques mobiles étant mis à la disposition des écoles dans les prochaines semaines, mon travail porte actuellement sur l’analyse du contenu numérique qui sera préchargé sur des projecteurs intelligents, en accord avec le programme scolaire tanzanien. Nous faisons cela afin d’appuyer les écoles situées dans des zones où la connexion internet est médiocre. Je suis également impatient de former les enseignant·es et les formateur·rices d’enseignant·es à l’utilisation efficace de ces outils numériques mobiles. L’objectif est de renforcer leurs compétences numériques et d’améliorer les résultats scolaires des élèves.
En ce qui concerne l’Innovation Hub, je travaille en étroite collaboration avec l’équipe Digital for Education (D4E) afin de mettre en place un laboratoire numérique au Kasulu Teachers’ College. Ce laboratoire appuiera des communautés d’apprentissage tant à destination des enseignant·es que des formateur·rices d’enseignant·es.


