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01 mai 2025
« Œuvrer pour l’inclusion, c’est également tenir compte du contexte »
Entretien avec Eline Hochepied Expert Junior en Ouganda
Eline Hochepied (28 ans) travaille depuis plus d’un an à Kampala, la capitale de l’Ouganda, en tant qu’experte junior en égalité des genres et inclusion chez Enabel. Elle fait partie d’une équipe de quatre personnes qui veillent à ce que tous les projets considèrent l’égalité des genres et l’inclusion comme partie intégrante de leur ADN, plutôt que comme un élément distinct. « Au début, nous devions proactivement aller vers nos collègues, mais maintenant, ce sont elleux qui viennent vers nous. »
Eline était déjà familiarisée avec la diversité grâce à ses études en droit, conflits et développement, ainsi qu’à son expérience professionnelle passée chez Fedasil. Néanmoins, déménager en Ouganda restait un saut dans l’inconnu. « L’idée de refaire ma vie dans un pays où je ne connaissais personne me stressait. C’était ma première expérience professionnelle à l’étranger. À l’origine, cela devait se faire pendant mon mémoire, mais à cause de l’épidemie Covid, c’est tombé à l’eau. »
« Mais j’ai été très bien accueillie. Mes collègues et les habitant·e·s de Kampala sont incroyablement sympathiques. » La manière de travailler a parfois nécessité quelques ajustements : « Je suis quelqu’un qui aime tout planifier dans les moindres détails sur papier. Mes collègues ont un point d’entrée différent. Iels se plongent plus rapidement dans un projet, puis apportent des ajustements si nécessaire. Je comprends maintenant la valeur ajoutée de cette flexibilité, mais il m’a fallu un certain temps pour lâcher prise sur ma planification. »
Les priorités sont également différentes en Ouganda par rapport au travail précédent d’Eline sur l’inclusion. Alors qu’en Belgique le travail sur le genre consiste souvent à briser les plafonds de verre, l’équipe d’Eline en Ouganda se concentre sur des défis sociétaux plus larges. « Il s’agit également de valoriser le travail non rémunéré, comme l’agriculture de subsistance, par exemple. Il n’y a tout simplement pas assez d’emplois pour tout le monde. Donc il est souvent plus réaliste de viser un revenu suffisant par famille, quelle que soit la personne qui le gagne, que de vouloir que toutes les femmes entrent sur le marché du travail. »

Les « détails » font parfois toute la différence
L’équipe dont fait partie Eline aide les collègues travaillant de divers projets à réfléchir à l’impact de leur travail sur les groupes vulnérables, tels que les personnes avec un handicap ou celles qui ont dû fuir leur pays d’origine. Il s’agit parfois d’ajuster des aspects très pratiques. « Par exemple, lorsque les communautés sont invitées à donner leur avis sur les projets, il faut tenir compte du moment dans la journée : pas au moment où les femmes habituellement travaillent leurs terres. Et il faut prévoir une garde d’enfants si l’on souhaite également recueillir l’avis des femmes. »
Eline a parfois dû réétudier ses attentes. « Lors d’un atelier communautaire sur les grossesses chez les adolescentes, j’ai pensé que je devais surtout veiller à ce que les jeunes femmes aient suffisamment d’espace pour s’exprimer. Mais le sujet était perçu comme typiquement féminin, et les garçons ne se sentaient pas invités à s’exprimer. J’ai remarqué qu’ils hésitaient : “Pouvons-nous vraiment dire quelque chose à ce sujet ?” J’ai donc essayé de leur faire une place – c’est cela aussi, l’inclusion. »

La coopération internationale : un regard critique
Eline tire beaucoup de satisfaction de son travail, mais elle est parfois en réflexion sur le rôle de coopération internationale. « Je me questionne sur ma propre position en tant qu’expatriée blanche dans un contexte postcolonial », explique-t-elle. « Pourquoi occupons-nous si souvent des postes à responsabilité ? Quelle est notre réelle valeur ajoutée ? »
C’est pourquoi elle se réjouit que la plupart de ses collègues soient ougandais·e·s, y compris ceux qui occupent des postes de supervision. « Mon équipe est composée de quatre personnes : ma supérieure, Janepher, et mes deux collègues; tous sont ougandais·e·s. Cela nous apporte une mine de connaissances locales et une meilleure compréhension du contexte. Ils m’ont appris à voir les choses différemment. »
Elle fait l’éloge de ses collègues, qui lui présentent souvent un point de vue différent. « Parfois, nous voulons lancer des projets qui semblent en théorie très bons, comme « plus de femmes conductrices de mototaxi », mais qui en réalité ne font avancer personne. Il y a déjà trop de chauffeurs de mototaxi sans travail. Mes collègues percoivent ce contexte beaucoup mieux. »
« De nombreux Ougandais·e·s voient le secteur [du développement] comme une carrière intéressante, offrant de meilleures conditions que beaucoup d’autres emplois. C’est peut-être moins « altruiste » que la façon dont le voyons en Belgique, mais c’est peut-être aussi plus sain. J’ai appris ici qu’il est sage de rester modeste quant à la place que l’on occupe en tant qu’« étranger·ère ».

Une deuxième maison
À côté de son travail, Eline a également trouvé ses repères à Kampala. « La ville est animée, sympathique et pleine de surprises. Je fais partie d’un club de lecture et d’un groupe de marche, et j’ai des amis ougandais·e·s ainsi que des ami·e·s expatrié·e·s. Je n’aurais jamais cru me sentir aussi rapidement chez moi ici. La vie ici m’a rendue plus flexible et a changé ma vision du travail, de la culture et de la collaboration. Cette expérience m’a façonnée à bien des égards, tant sur le plan professionnel que personnel. »
Et en ce qu’il en est de la coopération internationale ? « Je n’ai pas encore pris de position forte. En tout cas, continuer à faire preuve d’esprit critique, me semble essentiel. »