Actualités
14 mai 2025
La transformation des systèmes alimentaires
Interview
Arrivé à un tournant décisif de son existence, le système alimentaire mondial est confronté à d’énormes défis à relever. Alors que la faim persiste, que les écosystèmes se dégradent et que les disparités socioéconomiques s’accentuent, l’appel à un changement transformateur n’a jamais été aussi pressant.
Enabel possède une grande expertise dans le domaine de la transformation des systèmes alimentaires visant à développer des systèmes alimentaires résilients, inclusifs et durables. Pour en savoir plus à ce sujet et découvrir comment Enabel relève ces défis, nous nous sommes entretenus avec Sofie Van Waeyenberge, Coordinatrice d’Enabel pour l’agriculture et les systèmes alimentaires.
Enabel appuie la transformation des systèmes alimentaires. Pourquoi les systèmes alimentaires doivent-ils être transformés ?
Comme l’a déclaré Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, lors du Sommet sur les systèmes alimentaires en 2021, nos systèmes alimentaires sont brisés, et l’Afrique est en première ligne. Entre 713 et 757 millions de personnes pourraient avoir connu la faim en 2023 – soit 1 personne sur 11 dans le monde et 1 sur 5 en Afrique. Des facteurs tels que le COVID-19, le changement climatique et les conflits, comme la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ont entraîné une augmentation de l’insécurité alimentaire dans le monde, touchant 2,33 milliards de personnes, 58 % des Africain·es étant confronté·es à une insécurité alimentaire modérée, voire grave, soit près du double de la moyenne mondiale.
Par ailleurs, les systèmes agricoles et alimentaires actuels ont des effets négatifs sur l’environnement : dégradation des sols, de l’eau et des écosystèmes, fortes émissions de gaz à effet de serre et perte de biodiversité. Ils sont également vulnérables aux effets du changement climatique, tels que les phénomènes météorologiques extrêmes. Enfin, les chaînes alimentaires mondiales sont souvent marquées par de profondes disparités socioéconomiques. Il devient dès lors de plus en plus difficile pour les 2,3 milliards de petites exploitations dépendantes de tirer décemment leurs moyens de subsistance des systèmes alimentaires actuels.
La transformation des systèmes alimentaires est un enjeu mondial. L’UE dispose d’une stratégie spécifique « de la ferme à la table » qui fait partie intégrante du Green Deal. Elle ambitionne de faire évoluer le système alimentaire européen actuel vers un mode durable. En outre, l’Union africaine a récemment adopté la Déclaration de Kampala sur la mise en place de systèmes agroalimentaires résilients et durables en Afrique, qui s’aligne sur son Agenda 2063.
Comment Enabel définit-elle et applique-t-elle le concept de systèmes alimentaires durables ?
Lorsque nous parlons d’un système alimentaire, nous prenons en considération tous les éléments et activités liés à la production agricole, à la transformation et à la distribution des aliments, jusqu’à la préparation et à la consommation des aliments, et nous tenons compte des trois outcomes souhaités en ce qui concerne les personnes, la planète et la prospérité.
En d’autres termes, nous devons nous assurer que le système fournit une alimentation saine et suffisante accessible à tout le monde, que la nourriture est produite d’une manière respectueuse de l’environnement et résiliente au changement climatique, et enfin que cette transition vers des systèmes durables est juste, en améliorant les revenus et en créant des emplois décents pour les plus marginalisés dans le système alimentaire, tels que les petit·es producteur·rices, mais aussi les jeunes et les femmes qui travaillent dans des activités agricoles et non agricoles.
Peux-tu donner quelques exemples de projets ?
Enabel soutient la transition vers des systèmes alimentaires plus durables dans une quinzaine de pays. Ainsi, au Burundi, nous améliorons la productivité de différentes cultures comme le maïs, le riz, les bananes et les légumes grâce à des pratiques résilientes au changement climatique et à une bonne gestion de l’eau, afin d’améliorer la sécurité alimentaire. Le renforcement des organisations paysannes en matière de gestion de la qualité, de stockage et de commercialisation permet d’améliorer l’accès aux marchés et les revenus. La création de jardins alimentaires nutritifs dans les écoles et les centres de santé sert également à des fins éducatives pour soutenir l’apprentissage d’une alimentation saine et équilibrée.
Dans le cadre d’un projet d’innovation agroécologique au Bénin, nous avons soutenu la recherche sur les pratiques résilientes au changement climatique et la réduction de l’utilisation d’intrants chimiques dans la production de riz et de légumes. Cette recherche a été associée à des services de vulgarisation agronomique visant à encourager l’adoption de pratiques durables et résilientes au changement climatique. Cela s’est fait en collaboration avec des universités locales et des universités belges comme l’Université de Liège et l’Université catholique de Louvain.
et collaboré avec Colruyt pour pérenniser durablement la filière.
Comment les partenariats renforcent-ils les efforts d’Enabel en matière de systèmes alimentaires durables ? Des initiatives clés à mettre en exergue ?
L’innovation est essentielle pour accélérer la transformation des systèmes alimentaires. C’est pourquoi les partenariats avec des acteurs de l’innovation, qu’il s’agisse d’acteurs de la recherche ou d’entreprises innovantes, sont très importants. Ainsi, nous avons récemment signé un partenariat en Belgique avec le Jardin Botanique de Meise, qui possède une expertise reconnue dans le domaine de la botanique et de la biodiversité, et qui dispose également d’un vaste réseau de partenaires, en RDC et au Burundi, par exemple.
En outre, d’autres acteurs, tels que l’Agence fédérale belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA), sont à même de fournir une expertise très spécifique qui est très demandée dans nos pays partenaires pour améliorer la qualité et la sécurité des denrées alimentaires produites. De surcroît, la réduction des pertes post-récolte et le recyclage des déchets agricoles et alimentaires constituent également un thème important sur lequel nous avons collaboré avec différents acteurs.
Dans le secteur privé, nous sommes fiers de notre partenariat avec Colruyt en vue de créer des chaînes d’approvisionnement alimentaire durables et inclusives. Ainsi, nous avons appuyé la production, le stockage et le conditionnement de qualité des dattes au Maroc. Un autre exemple est notre collaboration au Bénin, où nous avons amélioré la production de noix de cajou et facilité les relations commerciales avec les organisations paysannes, ce qui s’est soldé par la livraison de 1.950 tonnes de noix de cajou par an à Colruyt.
Nous pouvons également nous targuer de notre partenariat avec Puratos, un fournisseur belge de produits de boulangerie industrielle, dans le cadre d’un projet financé par l’UE en Côte d’Ivoire où nous apportons notre appui aux coopératives et aux cacaoculteur·rices. Dans le cadre de ce partenariat, les coopératives bénéficient d’un appui pour les aider à accroître leurs capacités de fermentation et de séchage dans une approche gagnant-gagnant grâce à un co-investissement de Puratos dans nos activités de projet.
Cet effet de levier de Puratos contribue à multiplier l’impact et à augmenter les revenus. Cette valeur est ensuite redistribuée pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie des cacaoculteur·rices. Dans le cadre de cette approche, Enabel a fourni les services de conseil nécessaires pour consolider les relations et la confiance entre partenaires, et garantir le fonctionnement et la durabilité de la filière.
Un dernier mot ?
Oui, n’oublions pas que nous pouvons toutes et tous contribuer à pérenniser nos systèmes alimentaires en prêtant davantage attention aux aliments que nous achetons et consommons, ainsi qu’à la manière dont ils ont été produits.