Résister et réinventer
Jean Van Wetter, Directeur Général – Delphine Moralis, Présidente du Conseil d’Administration
Nous vivons une période inédite, charnière et paradoxale. Alors que les besoins de coopération internationale dans un monde globalisé n’ont jamais été aussi importants, la plupart des pays traditionnellement donateurs du système de solidarité mondiale remettent en question le système. L’ampleur des coupes budgétaires dans plusieurs pays est inédite dans l’histoire de la coopération internationale. Les pressions supplémentaires exercées sur les pays européens pour qu’ils augmentent leurs budgets de défense font craindre un risque d’effondrement de l’ensemble du système, si des coupes supplémentaires devaient encore être effectuées. Dans un tel contexte, il faut à la fois résister et se réinventer.
Résister
Enabel entend résolument résister au démantèlement du système de solidarité internationale. La coopération internationale est essentielle au dialogue, à la stabilité et à la paix, et Enabel joue un rôle crucial en tant qu’instrument de la politique étrangère et de sécurité de la Belgique et de l’Europe. Nous ne pouvons pas accepter certains arguments populistes à l’encontre du système et devons porter haut et fort nos valeurs, ainsi que démontrer nos résultats. C’est ce que nous faisons notamment à travers notre programme de citoyenneté mondiale BeGlobal, ainsi que via une prise de parole accrue dans divers forums.
Réinventer
En même temps, nous devons intégrer les changements géopolitiques et poursuivre la transformation que nous avons entreprise il y a 4 ans dans le cadre de notre stratégie Act for Impact. Cette stratégie a d’une certaine manière anticipé, il y a quelques années déjà, le nouveau paradigme que nous vivons aujourd’hui. Nous avons ainsi diversifié nos sources de financement et avons réinventé un narratif de la coopération internationale qui correspond aux enjeux actuels. Ce positionnement nous permet aujourd’hui de traverser cette crise avec une certaine sérénité.
Mais dans un ordre mondial en pleine mutation, nous devons aller encore plus loin. C’est pourquoi nous avons aussi revu fondamentalement le type de programmes que nous mettons en œuvre, en prenant mieux en compte, outre les problématiques de développement socioéconomique, les enjeux géopolitiques et les demandes de relations mutuellement bénéfiques de nos partenaires. Un exemple de cette transformation est notre présence active dans le programme Global Gateway de l’Union européenne. Enabel est ainsi un acteur clé dans 4 des 11 corridors stratégiques UE-Afrique : Cotonou-Niamey, Abidjan-Lagos, Abidjan-Ouagadougou et Dar es Salaam-Kigoma. Ces corridors faciliteront le commerce et la mobilité en Afrique ainsi qu’entre l’Afrique et l’Europe. Ils soutiendront également les investissements dans une connectivité durable, efficace et sûre entre les continents, développant de la sorte des chaînes de valeur qui profiteront aux industries tant en Afrique qu’en Europe.
Partenariats avec le secteur privé
Ce nouveau paradigme demande une collaboration accrue avec le secteur privé et nous avons en 2024 accéléré notre stratégie de partenariat public-privé. Nous avons, en octobre 2024, réuni 60 entrepreneur·es et innovateur·rices belges ainsi que des institutions financières en vue de réfléchir à des solutions de pointe pour la reconstruction post-conflit en Ukraine et à Gaza. Ces discussions ont débouché sur des idées concrètes en matière de reconstruction durable et de partenariats public-privé, ainsi que des nouveaux instruments de coopération.
Le secteur privé est également au centre de projets de mobilité entrepreneuriale qu’Enabel met en œuvre pour développer des partenariats durables entre entrepreneur·es sénégalais·es et belges, et entre ivoirien·nes et belges respectivement, et pour améliorer la performance des entreprises participantes en leur offrant des opportunités de mobilité temporaire entre la Belgique, le Sénégal et la Côte d’Ivoire.
Enabel a également été invitée à organiser, en janvier 2025 dans le cadre du Forum économique mondial de Davos, un débat intitulé « Reimagining international cooperation: A strategic imperative for global and European competitiveness ». Les discussions avec plusieurs « captains of industry » ont notamment porté sur la manière dont les partenariats public-privé peuvent et doivent constituer le moteur des investissements stratégiques, en donnant des exemples concrets d’initiatives dans le secteur de l’énergie, en abordant les corridors stratégiques du Global Gateway européen, la production de vaccins et les matières premières critiques (« critical raw materials »).
Enfin, nous avons renforcé notre partenariat avec notre société sœur BIO, spécialisée dans la prise de participation et les prêts aux entreprises dans nos pays partenaires. Ce partenariat nous permet d’offrir une offre intégrale, alliant développement d’un écosystème favorable à l’investissement, financement des entreprises et renforcement des capacités humaines.
Partenariats européens
Le changement de paradigme nous encourage aussi à travailler davantage en partenariat avec d’autres acteurs européens (Finlande, Allemagne, France…). En avril 2025, Enabel prendra de même, conjointement avec l’agence suédoise SIDA, la présidence du réseau européen de coopération internationale, avec l’agenda ambitieux de renforcer davantage encore l’impact de l’Union européenne sur le plan international.
Nous aimerions conclure en félicitant notre nouveau ministre, le ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes et de la Coopération internationale, Maxime Prévot, pour sa récente nomination. Nous nous réjouissons de travailler avec lui et son équipe pour faire de la Belgique un acteur clé dans la réinvention du modèle de coopération internationale en phase avec les défis mondiaux.
Un dernier mot enfin pour toutes et tous les collègues d’Enabel qui ont témoigné en 2024 d’un niveau de résilience inégalé, et qui, face aux défis d’aujourd’hui, sont plus motivé·es que jamais pour résister et réinventer la coopération internationale.
